Quand l’accident vasculaire cérébral frappe l’enfant

Un article du Monde du 28 Octobre 2021 de Marc Gozlan.

C’est l’histoire d’une petite fille de deux ans et demi qui présente à 19h une hémiplégie, avec perte de la motricité de la moitié droite du corps. Les urgences ne sont appelées que trois heures plus tard.

La petite patiente est alors adressée aux urgences d’un hôpital possédant une unité neurovasculaire pour adultes. À 23h, on réalise un scanner cérébral sans injection de produit de contraste, qui révèle une anomalie (hyperdensité) sur l’artère cérébrale moyenne gauche ainsi qu’une ischémie (manque d’oxygénation) dans le territoire vascularisé par ce vaisseau. La fillette est transférée au CHU local en vue d’une thrombectomie, autrement dit l’ablation chirurgicale du caillot sanguin qui obstrue l’artère cérébrale.

L’enfant présente une hémiplégie droite, une paralysie faciale, des difficultés d’élocution. Son niveau de conscience est normal. Elle joue avec sa poupée mais ne se sert que son bras gauche. L’angiographie cérébrale montre une occlusion sur 15 mm de l’artère cérébrale moyenne sur son trajet initial (partie proximale) ainsi que l’existence à proximité d’une circulation de suppléance (vaisseaux collatéraux) permettant de compenser l’obstruction artérielle. Au vu des données de l’imagerie et malgré le temps important écoulé (plus de quatre heures) depuis la survenue des symptômes, la petite fille est prise en charge pour une thrombectomie mécanique sous anesthésie générale.

Cette intervention vise à capturer le caillot grâce à un dispositif médical spécifique appelé stent retriever, sorte de grille dépliable. La thrombectomie mécanique est généralement réalisée dans les six heures après les premiers symptômes d’un accident vasculaire cérébral (AVC).

Capturer mécaniquement le caillot

Sous contrôle radiologique, un cathéter est introduit au niveau du pli de l’aine dans l’artère fémorale. Il est ensuite dirigé dans l’artère carotide puis jusqu’à l’artère cérébrale de gros calibre obstruée. Le stent retriever est inséré à l’intérieur du cathéter jusqu’au lieu de l’obstruction et à travers le caillot sanguin. Tel un filet, ce dispositif se déploie dans l’artère et capture un petit caillot, ce qui permet de le retirer mécaniquement. Le stent est retiré lentement en entraînant le caillot. Le vaisseau est de nouveau complètement ouvert (recanalisé), ce qui permet au sang de revenir alimenter la région du cerveau touchée par l’AVC. Une recanalisation complète a été obtenue par deux passages du stent retriever. Il s’est écoulé neuf heures entre le début des symptômes et la recanalisation complète.

Une heure après la thrombectomie, la fillette retrouve partiellement la motricité du côté droit. Le lendemain, l’imagerie par résonance magnétique montre la présence d’un infarctus cérébral aigu, limité à la seule région correspondant à celle atteinte lors du scanner initial.

La petite patiente est porteuse d’une anomalie cardiaque congénitale. L’échographie prénatale avait montré la présence d’un ventricule unique donnant naissance à l’aorte et l’artère pulmonaire. La petite fille avait subi deux opérations du cœur en période néonatale puis à l’âge de 6 mois. Le tronc de l’artère pulmonaire avait été suturé. Le caillot (thrombus) responsable de l’actuel AVC était localisé dans le tronc borgne de l’artère pulmonaire, d’où il avait pu migrer dans la circulation artérielle cérébrale.

Après la thrombectomie, la petite fille a reçu un traitement anticoagulant. Le thrombus a alors progressivement disparu à l’échographie. L’enfant avait pratiquement totalement récupéré sur le plan neurologique à sa sortie de l’hôpital. Il ne subsistait alors qu’une minime asymétrie faciale. Trois mois après la thrombectomie mécanique, la jeune patiente se portait bien et ne présentait aucune séquelle neurologique. Son traitement anticoagulant était bien équilibré. La fillette était en attente d’une troisième intervention cardiaque programmée au moment où elle serait en école élémentaire.

Cette observation clinique, publiée en mai 2021 par des neurologues, neuroradiologues et anesthésistes du CHU de Toulouse dans la revue en ligne Frontiers in Neurology, montre qu’une thrombectomie est réalisable dans certains cas et que cette procédure peut être efficace chez de très jeunes enfants souffrant d’un AVC, même en cas de long délai entre le début des symptômes et la recanalisation. En effet, la recanalisation a été réalisée neuf heures après le début des symptômes, au-delà des six heures généralement recommandées pour les patients adultes.

À ce jour, dans la littérature médicale, on ne compte que deux patients âgés de moins de 4 ans traités par thrombectomie pour un accident vasculaire cérébral. Dans les deux cas, la cause de l’AVC était cardiaque. Cette procédure a été efficace chez ces enfants respectivement âgés de 2 et 3 ans. Un consensus multidisciplinaire (avis d’experts) existe pour ne proposer la thrombectomie en cas d’AVC pédiatrique qu’aux seuls enfants de plus de 4 ans.

Plus généralement, chez les enfants présentant un AVC ischémique due à une obstruction d’une artère de gros calibre, la thrombectomie est associée à un taux élevé de recanalisation et à un bon pronostic chez la plupart des enfants traités. On ne compte dans la littérature médicale qu’un petit nombre d’enfants de moins de 10 ans victimes d’AVC ischémique ayant subi une thrombectomie mécanique, procédure qui s’avère efficace.

Au vu des résultats d’études récentes ayant montré que cette procédure a révolutionné la prise en charge et le pronostic de l’AVC ischémique de l’adulte, plusieurs équipes internationales estiment qu’il est probable que l’âge d’éligibilité à la thrombectomie sera revu à la baisse chez l’enfant et qu’elle puisse être bénéfique jusqu’à 24 heures après le début des symptômes.

Un millier d’enfants victimes d’AVC chaque année en France

Le cas clinique rapporté par les médecins toulousains illustre le fait que l’enfant peut, comme l’adulte, être victime d’un accident vasculaire cérébral. Un AVC survient quand la circulation sanguine est interrompue dans un territoire cérébral. Le vaisseau sanguin intracérébral peut être bouché (occlusion) ou se rompre et saigner (hémorragie). L’absence de perfusion par du sang oxygéné dans cette région du cerveau conduit à la destruction du tissu cérébral affecté dans les minutes qui suivent l’interruption de la circulation.

L’AVC affecte un millier d’enfants chaque année en France. Cette pathologie survient avec une incidence de 3 à 8 pour 100 000 enfants par an. Elle est bien plus rare que dans la population adulte au sein de laquelle un AVC survient en France toutes les quatre minutes. L’AVC de l’enfant est dix fois plus rare que chez l’adulte.

Les spécialistes distinguent l’AVC prénatal, l’AVC périnatal lors des premiers 28 jours de vie et l’AVC de l’enfant qui survient pendant l’enfance, jusqu’à l’âge de 18 ans.

L’incidence des AVC chez l’enfant est bien inférieure à celle observée en période néonatale. En effet, l’incidence de l’AVC chez les nouveau-nés est supérieure à celle des enfants plus âgés (1 sur 3 500 naissances vivantes versus 1 à 2 pour 100 000 enfants par an).

AVC hémorragiques et ischémiques

L’AVC pédiatrique survient chez l’enfant âgé de 29 jours à 18 ans. Chez l’enfant, on compte environ le même nombre d’AVC hémorragiques (hémorragie cérébrale par rupture d’une structure vasculaire anormale) que d’AVC ischémiques (présence d’un infarctus cérébral dû à l’occlusion d’une artère cérébrale par un caillot sanguin).

L’incidence de l’AVC ischémique pédiatrique est de 1,3 à 1,6 pour 100 000 enfants par an dans les pays développés (États-Unis, Europe). La mortalité se situe à environ 5 %. Elle atteint jusqu’à 15 % en cas de récidive, chiffre qui dépend grandement de la cause de l’AVC.

Les conséquences neurologiques à long terme sont fréquentes. Une étude prospective internationale a montré qu’un tiers seulement des 305 enfants survivants d’un AVC ischémique ne présentait pas de déficit neurologique un an après l’accident et que près de la moitié souffrait de conséquences neurologiques modérées à sévères.

Un diagnostic tardif car trop peu envisagé

L’AVC de l’enfant représente environ 1 % de tous les AVC. Cette rareté explique que ce diagnostic est souvent peu envisagé par les spécialistes de l’urgence pédiatrique. En d’autres termes, l’AVC pédiatrique reste encore mal reconnu, d’autant que la majorité des accidents vasculaires cérébraux survient chez des enfants en bonne santé.

Le manque de connaissance du public et des médecins est le principal obstacle à un diagnostic rapide. De nombreuses études soulignent que les pédiatres ne sont pas familiarisés avec l’AVC ischémique.

La difficulté d’évoquer un diagnostic d’AVC allonge la phase précédant l’arrivée de l’enfant à l’hôpital. De nombreuses études ont montré qu’on observe fréquemment un délai plus long avant l’appel aux urgences pour un enfant que pour un adulte. Au total, ce délai retarde d’autant celui de l’accès à l’imagerie cérébrale permettant le diagnostic. Il entraîne donc un retard (supérieur à 24 heures) dans la prise en charge du jeune patient par l’équipe hospitalière. Lorsque le déficit neurologique est transitoire, il arrive souvent que les symptômes soient négligés, voire attribués à une autre pathologie que l’AVC.

Des signes évocateurs

Chez l’enfant, les symptômes évocateurs de l’AVC ou compatibles avec cet accident sont très variés. Il peut s’agir de troubles moteurs d’une moitié du corps, d’une paralysie d’un bras, d’une asymétrie faciale, de maux de tête (céphalées), de vomissements, de troubles de la conscience ou de l’équilibre.

Dans la plupart des cas, l’AVC ischémique se manifeste cliniquement par des symptômes de survenue soudaine, le plus souvent sous forme d’une hémiplégie, qui se traduit par un déficit moteur de la moitié du corps, associés ou non à des troubles de l’élocution ou du langage.

Certaines particularités méritent d’être soulignées. Chez les tout petits, l’aphasie (trouble de l’expression orale) peut être difficile à identifier. Les convulsions (crises d’épilepsie) sont fréquentes à la phase aiguë, et ce d’autant plus que l’enfant est jeune (âge inférieur à 6 ans). Elles n’excluent donc pas le diagnostic d’AVC.  

Des maux de tête très intenses associés à une altération de la vigilance, voire à d’autres signes transitoires, doivent faire craindre la survenue d’une hémorragie cérébrale.

Dans la mesure où la survenue de séquelles dépend de la rapidité et de la qualité de la prise en charge initiale, il importe donc de sensibiliser et d’informer le public sur ces signes pouvant témoigner de la survenue d’un AVC chez l’enfant. Il importe, en outre, que les parents n’oublient pas de noter l’heure de survenue de ces signes. En effet, pour pouvoir être administrés, certains traitements doivent l’être dans les 4h30 suivant le début des symptômes (lorsqu’on envisage de dissoudre un caillot sanguin dans une artère cérébrale).

Nécessité d’un accès immédiat à l’IRM

À la phase aiguë (initiale) de l’AVC, l’IRM est l’examen de choix pour établir un diagnostic précoce, pour déterminer la nature des lésions du cerveau et fournir des renseignements précis sur l’état des vaisseaux cérébraux et de la circulation sanguine. L’IRM permet de décider de la meilleure prise en charge thérapeutique, discutée au cas par cas par une équipe multidisciplinaire.

L’IRM est l’examen à privilégier en première intention dans la mesure où la sensibilité du scanner est insuffisante. Des études ont montré que le scanner « manque » le diagnostic dans environ 43 à 83 % des cas. Cependant, du fait de son accessibilité 24h/24 et de sa simplicité d’utilisation, c’est le scanner qui est souvent  réalisé en cas de survenue brutale d’un déficit neurologique, quel que soit l’état clinique de l’enfant.

On comprend donc l’intérêt, pour un enfant suspecté de présenter un AVC, de pouvoir disposer d’un accès immédiat à une IRM. On dispose aujourd’hui de protocoles d’IRM avec acquisition rapide d’images, ce qui permet d’établir rapidement le diagnostic d’accident vasculaire cérébral. Il n’est donc pas question de perdre du temps même durant la séance d’imagerie et donc de différer le traitement de la phase aiguë de l’AVC. Comme pour l’adulte, la survenue d’un AVC chez l’enfant représente en effet une course contre la montre, selon le fameux adage « time is brain » (littéralement, le temps c’est du cerveau).

La rapidité du diagnostic d’AVC est donc essentielle afin de minimiser le risque de survenue de séquelles. Trop souvent, comme dans le cas de l’observation clinique rapportée en tout début de ce billet de blog, l’alerte est donnée tardivement, ce qui retarde d’autant le diagnostic qui, lui, repose sur l’imagerie cérébrale à pratiquer de toute urgence.

La suite sur : https://www.lemonde.fr/blog/realitesbiomedicales/2021/10/28/quand-laccident-vasculaire-cerebral-frappe-lenfant/

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