Sports extrêmes, épuisement… Nous pouvons tous halluciner (littéralement) 

Un article de The Conversation du 25 mai 2023 de Renaud Jardri, Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Université de Lille

Dans l’imaginaire collectif comme en littérature, l’hallucination reste souvent synonyme de trouble psychique ou de consommation de substances toxiques. « Entendre des voix, c’est mauvais signe même dans le monde des sorciers… » rappelle ainsi Hermione Granger à Harry Potter (Harry Potter et la chambre des secrets, Gallimard jeunesse, 1998).

Pourtant, la manière dont notre cerveau construit en permanence une représentation mentale de ce qui nous entoure reflète autant les informations transmises par nos organes sensoriels que nos connaissances : notre perception du monde est donc, par définition, tout ce qu’il y a de plus personnel et subjectif ! Cette intégration subtile d’informations diverses a conduit des scientifiques à considérer nos perceptions comme des « hallucinations contrôlées » du monde.

Le phénomène hallucinatoire peut ainsi être défini comme un stimulus perçu, mais ne s’appuyant sur rien de concret dans notre environnement – on voit vraiment quelque chose qui n’est pas là. Un élargissement de perspective qui change beaucoup de choses. Présent le long d’un continuum allant du normal au pathologique, il s’avère ainsi beaucoup plus répandu qu’on ne le croit… et moins connoté. Et son étude s’est imposée comme un champs de recherche reconnu en neurosciences.

Il est apparu que sa survenue était favorisée dans certaines situations limites, notamment en cas de stress psychologique ou physiologique intenses. Les récits des explorateurs et des sportifs de l’extrême regorgent ainsi de témoignages d’hallucinations survenues dans ces séquences exceptionnelles, riches en informations sur leur nature et leur origine.

Pourquoi ces hallucinations de l’extrême ?

En induisant à la fois une privation d’oxygène (hypoxie) et de CO2 (hypocapnie, due à l’hyperventilation), la très haute altitude expose déjà le grimpeur à des risques parfois mortels tel l’œdème pulmonaire ou cérébral.

Mais ce n’est pas tout. Il peut également être sujet de tout un panel de perceptions extraordinaires, allant de la paréidolie (détection de formes dans l’environnement, par exemple de visages dans les nuages) à l’autoscopie (perception d’un double de soi mais en dehors de soi), en passant par un compagnon imaginaire ou des vécus spirituels proches de la sensation de fusion avec l’univers parfois décrite sous psychédéliques.

De tonalité affective variable, ces expériences appartiennent à la fois au registre de l’illusion, de l’hallucination et des états modifiés de conscience. Angoissantes parfois, elles ont paradoxalement assuré pour de nombreux alpinistes une fonction rassurante d’« ange gardien ».

Skippers en solitaire et autres coureurs d’ultra-trails ne sont pas en reste et présentent également leur lot d’expériences hallucinatoires. Les erreurs d’encodage des informations sensorielles dans le cerveau résultent ici d’un savant mélange de déshydratation, de privation de sommeil et de stimulations monotones et répétitives. Le bruit régulier des vagues sur la coque du bateau, qui modifie la bonne perception des bruits « significatifs » par rapport au bruit de fond, peut avoir cet effet.

Et à l’instar d’observations faites lors des confinements liés à la pandémie de Covid-19, la solitude semble être un autre facteur favorisant leur émergence.

L’expérience hallucinatoire « extrême » se développe selon une complexité croissante. Surviennent déjà des phénomènes élémentaires et unimodaux (ne touchant qu’un seul sens) : par exemple des phosphènes – des points scintillants – ou des acouphènes – des bruits parasites.

Apparaissent ensuite des distorsions de la perception : taille et contour des objets sont déformés (métamorphopsies). Puis le sujet touché connaît une augmentation de son « langage intérieur » (cette petite voix dans notre tête) et un ralentissement cognitif. enfin, au-delà de 48-72h de dette de sommeil, les hallucinations deviennent multisensorielles – on voit des formes humaines, on entend des voix, etc.

Il est possible de multiplier les exemples où le phénomène peut se produire avec la narcose au gaz inerte des plongeurs en eaux profondes, les expéditions polaires prolongées ou l’isolement sensoriel des spéléologues pris au piège de l’obscurité des mondes souterrains…

Ce qui est frappant, c’est qu’à chaque fois nous sommes aux limites de l’endurance et des capacités physiques ou psychiques humaines. Ce constat n’est pas sans rappeler les descriptions faites par 10 à 20 % des ressuscités d’arrêt cardio-respiratoire. Les expériences dites de mort imminente (EMI) comprennent elles aussi des phosphènes, pouvant aller jusqu’à la vision d’un tunnel lumineux, des flashs mnésiques, une sensation de conscience omnisciente ou des sensations de décorporation.

Ces expériences sont dans tous les cas des signaux d’alerte à ne pas négliger. Dans le cadre d’une pratique extrême en mer ou en haute montagne, elles sont corrélées à un risque d’accident accru, de chute ou de mauvaise décision pouvant s’avérer mortelle.

La suite sur : https://theconversation.com/sports-extremes-epuisement-nous-pouvons-tous-halluciner-litteralement-206146

Articles similaires

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience. Vous pouvez en savoir plus sur les cookies que nous utilisons dans Paramètres de confidentialité.
AccepterRéglages de Confidentialité

RGPD

  • Cookies

Cookies

Le site Boisanger Santé utilise des cookies pour améliorer l’expérience utilisateur du site. 

Pour en savoir plus lisez nos mentions légales.