Pourquoi certains se réveillent lors d’une anesthésie générale… et comment l’empêcher ?

Un article de The Conversation du 20 octobre 2022 de Sébastien Rimbert, Inria Starting Faculty Position, Inria Bordeaux Sud-Ouest, Université Libre de Bruxelles, équipe LNMB

Se réveiller pendant une intervention chirurgicale est une expérience terrifiante – et redoutée – pour les patients… Mais également pour le personnel médical, qui craint toujours d’être responsable d’un tel événement avec toutes ses conséquences. On nomme ce type de phénomène un « réveil peropératoire durant l’anesthésie générale » (en anglais accidental awareness during a general anesthesia), défini comme un réveil inattendu du patient au cours d’une intervention chirurgicale.

Bien que l’origine du phénomène soit encore débattue, les chercheurs commencent à proposer des hypothèses sur ses causes. Par exemple, on sait que lorsque la profondeur de l’anesthésie générale, induite par la concentration d’anesthésique utilisée, n’est pas suffisante pour compenser les stimulations chirurgicales liées à l’opération en cours, il y a un risque de réveil. C’est pourquoi, tout au long de l’opération, l’anesthésiste surveille la concentration des produits injectés et travaille à maintenir la sédation à un niveau optimal.

Pour en suivre la profondeur, il peut faire appel à l’observation de deux types de paramètres chez le patient :

  • Des caractères cliniques (fréquence cardiaque, pression artérielle, mouvements, sudation),
  • Des motifs particuliers présents dans l’activité cérébrale du patient via le signal électroencéphalographique (EEG).

Pour l’anesthésiste, l’objectif est de maintenir, chez le patient endormi, une sorte d’équilibre complexe où la balance dynamique entre perte de conscience, perte de la sensation douloureuse et perte de mémoire est en harmonie. En effet, si l’anesthésie est trop légère, elle peut entraîner une reprise de conscience ou un mouvement durant l’opération – ce qui est très dangereux. Inversement, si l’on administre trop d’agents anesthésiques, cela augmente la probabilité de décès.

Dans le cas d’une anesthésie à risque (par exemple sur une personne âgée souffrant d’une pathologie cardiovasculaire), on aura tendance à sous-doser l’anesthésie générale pour éviter les effets secondaires et diminuer le risque. Et de façon générale, un surdosage peut augmenter les symptômes des nausées et vomissements postopératoires, retardant alors la sortie de l’hôpital du patient.

La frontière entre une anesthésie correctement dosée ou trop légère est au final souvent très mince… La faute principalement à l’hétérogénéité des patients (âge, poids, genre) et de leur réaction physiologique aux produits employés.

L’étude du réveil peropératoire apparaît donc aujourd’hui comme fondamentale. D’abord, car elle répond à un véritable besoin, et rentre dans le cadre de l’amélioration du suivi et de la qualité des soins voulu par le ministère de la Santé. Ensuite, car dans la mesure où aucune des techniques actuelles ne satisfait pleinement la détection de ce type de réveil, il est évident qu’un dispositif plus fiable serait bienvenu dans les hôpitaux.

Nos travaux, qui exploitent le potentiel des interfaces cerveau-ordinateur, permettent d’apporter des idées nouvelles dans ce domaine.

Incidence du réveil peropératoire

Le nombre de patients concernés par les réveils peropératoires n’est pas à prendre à la légère. Si l’incidence et l’occurrence de ce phénomène fait débat, il y a un consensus pour situer le nombre de réveils peropératoires entre 1 et 2 % (dans les pratiques à haut risque). Ce pourcentage peut paraître faible, mais une partie des victimes n’a pas conscience de leur réveil et d’autres ne témoignent pas : elles ne sont donc pas comptabilisées, d’où une sous-évaluation de l’événement.

Compte tenu du nombre d’anesthésies générales entreprises chaque année, l’occurrence de cet incident est alarmante : 7 millions sont approximativement réalisées par an en France, ce qui fait plus de 13 000 réveils potentiels. À l’échelle mondiale, ce sont des centaines de millions d’anesthésies générales qui sont effectuées chaque année. De quoi souligner à quel point de nouvelles solutions sont nécessaires…

Un phénomène qui plus est encore largement imprévisible puisqu’il n’existe pas d’hypothèse satisfaisante sur les facteurs biologiques qui pourraient augmenter le risque de réveil. Certains supposent une origine génétique, mais sans preuve concluante. Le plus probable étant qu’à un moment précis, il y a un sous-dosage en anesthésiant ou que les récepteurs cérébraux concernés sont moins sensibles aux produits utilisés.

Le syndrome post-traumatique lié au réveil peropératoire

Les conséquences néfastes d’un réveil peropératoire sont par contre bien établies. Une telle reprise de conscience peut provoquer une souffrance physique et/ou une réelle panique. Des patients ont ainsi reporté entendre le personnel médical commenter leur opération en cours, ressentir les incisions réalisées, une douleur extrême voire les mains du chirurgien en eux… Ce qui peut engendrer des séquelles psychologiques nommées troubles de stress post-traumatiques.

Ces syndromes peuvent durer plusieurs années et avoir un impact grave sur la vie de la victime. Parmi les nombreux effets connus sont notamment documentés dépression, troubles du sommeil et changements de personnalité, anxiété, insomnie, flashbacks, peur chronique ou encore pensées suicidaires. Ces séquelles psychologiques à long terme pourraient affecter près de 70 % des patients ayant rapporté une reprise de conscience pendant leur opération.

Les réveils peropératoires génèrent également un niveau d’anxiété élevé chez les anesthésistes et figurent parmi les trois principales causes d’attaques légales des patients envers l’hôpital.

Peut-on détecter le réveil peropératoire ?

Le seul suivi des signes cliniques ne permet pas une détection suffisante du réveil, et ne permet donc pas de l’empêcher. Ils ne sont en effet que des témoins indirects de l’état cérébral des patients, pas assez fins pour toujours anticiper un réveil avant qu’il ne se produise.

De nouveaux index utilisant une partie du signal électro-encéphalographique (EEG) au niveau frontal (car il est facile et rapide d’y placer des électrodes) sont testés, comme le Bispectral Index (BIS, basée sur l’activité électrique dans le cerveau), le Patient State Index (PSI) ou l’Entropy. Bien que déjà utilisées en hôpital, ces approches n’ont pas clairement démontré leur supériorité par rapport à la surveillance clinique et leur fiabilité est parfois mise en doute par les anesthésistes eux-mêmes.

Aujourd’hui le problème peut se résumer de cette manière : aucun monitorage basé sur le signal de l’activité cérébrale n’est assez satisfaisant pour évaluer efficacement la profondeur d’une anesthésie générale et encore moins pour prévenir un réveil peropératoire. Il faut donc trouver de nouvelles solutions, c’est ce à quoi nous travaillons.

La suite sur : https://theconversation.com/pourquoi-certains-se-reveillent-lors-dune-anesthesie-generale-et-comment-lempecher-192347

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